La viande chez les sédentaires
Elle est chère et n’est donc pas consommée très souvent. Aujourd’hui il existe des boucheries où la viande est vendue après avoir été contrôlée par un vétérinaire. L’abattoir existe mais on lui préfère l’air libre, donc les bêtes seront tuées en flanc de montagne, non loin du village, la viande sera acheminée dans des véhicules jusqu’à la boucherie.
Dans le temps, pas si lointain que ça puisque je m’en souviens encore, deux à trois fois par an, un chameau sera transformé en viande. Entre ces périodes là, il y a bien-entendu les fêtes, les mariages, les naissances et certainement d’autres occasions pour faire la peau à un mouton ou à un bouc (bélier).
Revenons à notre chameau. Une délégation de notables du village convoque un éleveur et lui demande de ramener une belle bête avec lui au village. Le calendrier n’étant utilisé que pour les fêtes religieuses, il sera donc mit de côté en ce qui concerne la venue du chameau à acheter, il sera là le jour où Dieu en décidera..
Une fois notre bossu arrivé, nos chers notables se réunissent à nouveau pour décider du prix que l’on pourrait en donner au propriétaire. Ce dernier, jamais d’accord avec la somme décidée, fait sa proposition et le marchandage commence et durera des jours entiers s’il le faut. Heureusement que la raison l’emporte et qu’un accord est trouvé. Nous allons pouvoir passer à l’étape suivante, qui sera de tuer et de découper le chameau selon un principe de „huit parts égales“ constituées de toutes les parties de viande et des abats. C’est le principe des octants (au village cela est appelé itimin au singulier et itimnen au pluriel) ensuite chaque octant sera partagé par autant de familles qui en veulent ou peuvent s’en payer une partie. Une fois les octants formés, ils sont tout naturellement inégaux en poids car la balance ne faisant pas partie de l’attirail du ou des égorgeurs. Sachant l’inégalité ou la différence de poids entre ces tas de viande, au moment de la remise de chaque octant à ses acheteurs, nous ferons appel à l’innocence d’un enfant à qui on donnera les noms des huit chefs d’octants, il se retournera et l’un des hommes montre du doigt un octant et demande à qui l’approprier, l’enfant dira un nom au hasard et ainsi de suite jusqu’à huit. Selon les bourses ou les besoins en quantité de viande de tout un chacun, un octant sera acheté soit par une seule famille soit partagé entre plusieurs autres, allant jusqu’à dix foyers. Cela veut dire que chacun de nos octants sera équitablement découpé, toutes part de viandes confondues, en nombre de chefs de famille. C’est à partir de ce décompte, à savoir, par huit puis en nombre de payeurs que tout le calcul sera fait, pour que tout un chacun sache de combien il est redevable. Le calcul durera plusieurs jours voire plusieurs semaines avant que la somme puisse être réunie et que le propriétaire perçoive son dû. Il faut comprendre que la division à proprement dite, celle que l’on apprend dans les écoles, n’était pas connue. Les villageois passaient donc des heures entières à faire des points dans le sable, un groupement de cinq points puis un deuxième pour obtenir une dizaine qui sera apposée en une barre verticale, ainsi de suite jusqu’à se rendre compte que l’on s’est trompé quelque part et qu’il faille tout reprendre depuis le début. Un éleveur doit avoir de la patience au Sahara.
Pour ce qui est du village d’Idélès et de ses environs dont les enfants seront scolarisés vers 1956. L’instituteur de l'époque (mon père), qui fonda l'école d'Idélès, eu assista à toutes ces cérémonies de marchandage et de comptage. Lui aussi voulait mettre du goût dans sa marmite. L'éducation nationale lui ayant demandé d'instaurer un programme d'alphabétisation des adultes, à chaque tentative, il se heurtait à un refus. Les adultes ne voulant pas montrer leurs inaptitudes à apprendre (ce qui n'est vrai en aucun cas) se trouvaient soudainement plein d'activités pour échapper à l'école qui par ailleurs ne leur était pas obligatoire. Le jour où le chameau fut tué, notre instituteur saisi cette belle occasion pour réunir les notables et les chefs de famille afin de leur donner à chacun le prix d'un octant et la somme que chacun doit aux propriétaires. Le résultat est tombé alors que le chameau n'était même pas dépecé. L'étonnement fut grand "ça alors!!" et comment fais tu cela ? Par la division !
Une démonstration leur a été faite sur ce même sable qui devait voir plein de points et de barres. Peux-tu nous apprendre cela ? Oui mais dans ma salle de classe, après toutes les tâches domestiques !
Voilà les cours du soir pour adultes qui commencèrent. Le plus heureux de ce dénouement étaient bien sûr le propriétaire qui a pu repartir rapidement avec son argent.